Les nouveaux escadrons de la mort irakiens
Les Forces Spéciales d’Opérations Irakiennes (ISOF ou FSOI) sont certainement les Forces spéciales les plus importantes jamais constituées dans le monde par les Américains. Elles échappent aux contrôles que la plupart des gouvernements imposent à de telles unités.
Leur constitution a débuté dans les déserts de Jordanie, peu après la prise de Bagdad, en avril 2003. Là, les Forces Spéciales – les Bérets Verts – ont entraîné de jeunes Irakiens de 18 ans qui n’avaient aucune formation militaire. La brigade formée a été le couronnement de leur rêve : c’était une unité d’élite, implacable, clandestine, entièrement équipée par les Etats-Unis, ne répondant qu’aux ordres américains, sans attache avec aucun ministère irakien.
Selon les rapports du Congrès, l’ISOF comprend neuf bataillons, répartis dans quatre « bases de commandos » dispersées à travers l’Irak. En décembre, cette force comprendra une « cellule de renseignements » fonctionnant indépendamment des réseaux de renseignements étatiques. Avec 4564 membres, l’ISOF a la même taille que les Forces Spéciales US en Irak. Toujours selon le Congrès, il est prévu de doubler ce nombre dans les « prochaines années ».
Pour le Lt. Colonel Roger Carstens, les Forces Spéciales US sont « en train de mettre sur pied la force la plus puissante de la région ». En 2008, Carstens, alors officier supérieur au Centre pour la Nouvelle Sécurité américaine, était conseiller de la Force Antiterroriste Nationale Irakienne, où il a aidé les Irakiens à élaborer les règles du contre-terrorisme en vigueur pour l’ISOF. « Tout ce que ces gars veulent », dit-il, «c’est sortir et tuer des sales type toute la journée… Ils sont aussi efficaces que nous. Nous les avons entraînés. Ils sont comme nous. Ils utilisent les mêmes armes. Ils marchent comme des Américains ».
Une branche occulte de l’armée US
Quand les Forces Spéciales US ont commencé à transférer petit à petit l’ISOF aux Irakiens en avril 2007, elles ne l’ont pas placée sous la tutelle du Ministère de la Défense ou du Ministère de l’Intérieur, institutions qui, de par le monde, contrôlent de telles unités. Les Américains ont, en revanche, forcé les Irakiens à créer un Bureau de niveau ministériel appelé le Bureau du Contre-Terrorisme. Institué par une directive du premier ministre Nouri al-Maliki, le BCT qui commande l’ISOF, sans aucune intervention de la police ou de l’armée, est sous son autorité directe. Selon les termes de la directive, le Parlement n’a aucune influence sur l’ISOF dont il ignore les missions. Des individus comme Carstens voient ce bureau comme « la structure idéale pour le contre-terrorisme dans le monde ».
Pour les Irakiens, l’ISOF – surnommée La sale brigade - même si elle se trouve sous le contrôle officiel du gouvernement, est une branche occulte de l’armée US. Ce n’est pas loin de la vérité. Les Forces Spéciales US sont étroitement associées à chaque niveau de l’ISOF, de la planification à la réalisation des missions pour décider de la tactique et de la politique à suivre car « elles disposent de conseillers à chaque échelon de la chaîne de commandement » selon le général Simeon Trombitas, véritable fondateur du projet ISOF alors qu’il dirigeait l’Equipe de Transition de la Force Nationale Irakienne de Contre terrorisme. Trombitas a passé sept des ses trente années de service à former des forces spéciales en Colombie, El Salvador, entre autres. Le 23 février, il m’a fait faire le tour de AREA IV, une base irako-américaine près de l’aéroport de Bagdad où a lieu l’entraînement de l’ISOF. Il me confie qu’il est fier de ce qui a été fait au Salvador mais il oublie de mentionner que ces forces modelées par les Etats-Unis sont responsables de la mort, dans les années 1980, de 50 000 civils, sympathisants de la guérilla de gauche. Au Guatemala, cas similaire : les escadrons de la mort ont tué 140 000 personnes. Au début des années 1990, une unité d’élite de la police colombienne, Los Pepes, formée par les Etats-Unis, accusée de nombreux meurtres, constitue l’élément central de l’organisation paramilitaire actuelle.
Sur le blog du Département de la Défense, Trombitas affirme que les campagnes d’entraînement en Amérique Latine peuvent « facilement être transposées » en Irak. Les forces spéciales salvadoriennes ont même aidé l’ISOF, me dit-il. « C’est un monde de coalition. Plus nous travaillons ensemble, plus nous nous ressemblons. Quand nous partageons nos valeurs et nos expériences avec d’autres armées, ils deviennent nous ». En le quittant, je lui demande combien de temps les Etats-Unis seront engagés auprès de l’ISOF. « Les forces spéciales sont spéciales parce que nous conservons des relations avec des forces étrangères. Une partie de notre stratégie d’engagement sur le terrain est de maintenir des liens avec les unités qui sont importantes pour la sécurité de la région et du monde… Nous allons avoir des relations de travail pour un certain temps » m’assure-t-il.
La milice d’al-Maliki
C’est ce que craint un membre du Parlement irakien, Hassan al-Rubaie qui les voit d’un mauvais œil. « Si les Etats-Unis quittent l’Irak, ce sera la dernière force qui y restera ». Il s’inquiète qu’une force aussi puissante et secrète, étroitement liée aux Américains, puisse transformer l’Irak en « une base militaire dans la région » leur permettant ainsi de continuer à conduire des missions en Irak sous couvert de l’ISOF. Ce n’est d’ailleurs pas la seule cause de méfiance des parlementaires. En août dernier, les bâtiments du gouvernorat de Diyala furent l’objet d’un raid de la part de l’ISOF appuyée par des hélicoptères Apaches US au cours duquel des membres du Parti islamique sunnite furent arrêtés. En réponse à la levée de boucliers du Parlement, Maliki, qui doit approuver chaque opération de l’ISOF, a démenti avoir eu connaissance de l’affaire. D’où la question : qui a donné l’ordre ? Les Américains ? Maliki a-t-il menti pour cacher que l’ISOF a été utilisée à des fins politiques ? Depuis, d’autres opérations du même type ont eu lieu : en décembre, 35 fonctionnaires, opposants au Parti Dawa de Maliki, furent arrêtés à Sadr City. Dans ce quartier, où les Américains ne s’aventurent pas, l’ISOF conduit des opérations de châtiment collectif pour intimider la population. Certains parlementaires craignent que l’ISOF devienne l’escadron de la mort personnel du Premier ministre. Pour le député Abdul Karim al-Samarrai, entre autres, le démantèlement du BCT doit être effectif car « il n’existe aucune base légale pour l’existence d’une brigade armée hors du contrôle du ministère de la Défense ou de l’Intérieur ».
Or, Obama a indiqué qu’il s’appuiera davantage sur les forces spéciales US. La nomination par Robert Gates et de Stanley McChrystal en Afghanistan montre qu’il tient sa parole. De 2003 à 2008, ce dernier a été à la tête de Commandement Conjoint des Forces Spéciales qui supervise les forces les plus secrètes de l’armée et est responsable de la formation des forces spéciales à l’extérieur. McChrystal a également été le commandant des Forces Spéciales d’Opérations US en Irak pendant cinq ans. Selon le Wall Street Journal, il y « commandait des unités qui se spécialisaient dans la contre – guérilla, y compris la formation d’unités locales ». Pour certains, les unités locales sont utilisées pour des opérations clandestines. « Le commandement des Forces Spéciales d’Opérations des Etats-Unis cultive des relations avec les forces spéciales d’autres pays parce cela permet aux Etats-Unis d’intervenir militairement de manière anonyme. L’opération clandestine idéale est celle qui est conduite par des forces locales».
Shane Bauer
Article original : Iraq’s New Death Squad
Traduction : Le Grand Soir
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