BRUXELLES – L’autobiographie de Malalai Joya, politicienne et activiste pour les droits des jeunes femmes afghanes, est un cri de colère. Elle a survécue à cinq assauts et vit cachée dans Kabul. Malgré tout elle reste optimiste. “Arrêtez les bombardements et ne financez plus les seigneurs de guerre. Alors seulement les voix démocratiques oseront se lever.” Interview par Christophe Callewaert pour De Wereld Morgen.
Lorsque je l’ai rencontrée dans un hôtel bruxellois elle paraissait exténuée. C’est difficile d’imaginer que cette femme petite et frêle est la cible numéro 1 de tous les extrémistes d’Afghanistan. Depuis qu’elle a prise la parole librement à une Loya Jirga –la grande rencontre des chefs tribaux pour faire une ébauche de la constitution- elle est considérée par ses ennemis comme “une morte vivante”.
Elle a déjà survécue à cinq assauts. Une fois elle a vue une bombe a explosé prématurément et le pont sur lequel elle devait passer en voiture partir en fumée. Malgré tout, elle vit toujours en Afghanistan.
Malalai Joya: "Je vis à Kabul mais, malheureusement, je ne mène pas une vie normale. Je déménage tout le temps entre différentes maisons sécurisées. Je n’ai pas de bureau pour recevoir les gens. J’ai mêmes des gardes du corps mais ça reste très dangereux. Et maintenant que j’ai écrite ce livre, les extrémistes vont encore plus me menacer. Ils savent que je ne vais jamais accepter un compromis, et qu’ils ne seront jamais d’accord avec moi, alors ils veulent absolument m’éliminer. Je fais de mon mieux pour que cela n’arrive pas."
Vous pouvez encore faire de la politique?
Malalai Joya: "Je suis souvent invitée dans des provinces éloignées ou à des manifestations publiques dans Kabul, mais c’est vraiment trop dangereux. Ma vie est clandestine. Je reçois quelques fois des personnes dans des endroits tenus secrets mais pour pas plus de trois heures, question de sécurité. Si mes ennemis voulaient me mettre au silence, ils n’ont obtenus que l’effet inverse. Chaque menace prouve leur faiblesse politique."
"Ma situation devrait réveiller tout le monde" ajoute Malalai Joya. "Sous les talibans, je pouvais encore donner des cours secrètement à des jeunes filles. Maintenant, je ne peux aller nulle part, même avec des gardes du corps. Quelle preuve demander de plus pour voir que cette guerre contre le terrorisme n’est qu’une immense plaisanterie. La libération de la femme n’était apparemment qu’une excuse pour envahir notre pays."
Malalai Joya s’est faite connaître en décembre 2003.Elle venait alors d’être élue députée dans le Loya Jirga pour faire l’ébauche d’une nouvelle Constitution. Malalai Joya n’avait que 25 ans mais était déjà très connue comme cheffe de la santé. Neuf années plus tôt, elle retournait en Afghanistan depuis le Pakistan où elle a vécue et grandie dans un camp de réfugiés. Toujours adolescente sous les Talibans, elle donnait secrètement des cours à des femmes et à des jeunes filles.
Dans votre premier discours, lors de la Loya Jirga, vous vous en êtes prise sérieusement à quelques uns des personnes présentes. Pourquoi étiez-vous tellement en colère ?
Malalai Joya: " J’ai été choquée de voir tant de criminels de guerres présents à cette rencontre. C’est clair que je redoutais fort que la Loya Jirga ne serait qu’un pot-au-rose de l’occupation américaine. Mais ce que j’y ai vu était pire que ce que j’avais pu imaginer. Il était clair alors pour moi que les Etats-Unis (USA) et ses alliés n’avaient fait que remplacer les talibans par des seigneurs de guerre. Ceux-là même qui sont responsables de la guerre civile après le retrait de l’Union Soviétique. »
Qui sont ces seigneurs de guerre?
Malalai Joya: "Les seigneurs de guerre ont reçus des millions de dollars du CIA et de l’ISI (services secrets pakistanais) pendant la Guerre Froide. A cette période là ils n’étaient pas très sympathiques avec mes gens. Malgré tout, tout le monde, même les intellectuels et les progressistes, combattait l’occupation russe. Mais une fois que l’Union Soviétique avait quittée l’Afghanistan, ils ont montrés leur vrai visage. Hekmatyar, Massoud, Hatim, Rashid Dostum, ... toutes ces marionnettes aux mains des USA ont commises des crimes atroces."
"Vous pensez que tout a commence avec les Talibans, mais c’est un mensonge. Les atrocités ont commencées avec les seigneurs de guerre. Au nom de l’Islam ils ont abolis les droits des femmes. Même les plus jeunes filles n’étaient pas en sécurité avec ces violeurs. Ils ont pillés les musées et les librairies ont été brulées. Ils ont assassinés plus de 65.000 personnes. Ils ont transpercés les têtes des opposants avec des clous . Ils ont arrachés la poitrine des femmes."
"Le pire est qu’ils ont peut-être réussis à détruire l’unité nationale. Ils ont tous combattus au nom d’un groupe ethnique. La situation était tellement horrible que les afghans étaient soulagés de voir les talibans prendre le pouvoir et mettre fin à l’empire des seigneurs de guerre. Bien sûr ils ont vite étés désenchantés car à nouveau un gang de meurtriers avaient pris le pouvoir. En 2001, quand les talibans ont été éjectés du pouvoir, l’espoir était revenu mais pour un court moment. Le 28 Avril a été déclaré le Mujahedeen Victory Day (le jour où en 1992 la guerre civile avait commence) alors que cette date devrait représenter pour tous les afghans un jour de deuil national."
Vous appelez Ahmed Shah Massoud un seigneur de guerre. N’est-il pas un héros national pour l’Afghanistan?
Malalai Joya: "Massoud est un très bon exemple du « avant terroriste et maintenant héros pour les américains ». En Afghanistan on appelle ce héros le « boucher de Kaboul » parce qu’il a commis un nombre immense de massacres et de ravages. Une rue dans Kaboul porte son nom mais personne ne l’utilise parce qu’il est haï. La CIA et le gouvernement français veulent nous pousser à voir Massoud comme un héros, mais les héros naissent dans le cœur des gens et pas dans les ministères des affaires étrangères."
Ne voudrais-tu pas leur donner une chance? Peut-être ils montreront alors du remord ?
Malalai Joya: "Huit années ont été suffisantes pour voir comment ils traitent mes gens. Quand les talibans ont pris le pouvoir, les seigneurs de guerres se sont terrés. Avec les millions de dollars qu’ils ont reçus du CIA ils se sont caches dans des cavernes. Après le 11 septembre 2001 ils sont ressortis et se sont comportés comme des loups mais cette fois-ci habillés comme des moutons. "
"Maintenant ils sont même prêts à négocier avec les talibans. En réalité, ils n’ont aucun problème ensemble. Certains se réfèrent à l’Afrique du Sud : Mandela a bien aussi serré la main de ses ennemis. Oui, il y a des victimes qui pardonnent leur bourreau. Mais en Afghanistan ce sont des terroristes qui serrent la main d’autres terroristes."
En 2005 vous avez été élue au parlement. Deux années plus tard vous avez été suspendue parce que vous auriez offensé des parlementaires. Ils exigeaient des excuses de votre part. Pourquoi avez-vous refusé?
Malalai Joya: "En Afghanistan c’est la loi de la jungle qui règne. Est-ce si mal de comparer le parlement à un zoo ? D’accord, tous les parlementaires marchent sur deux pieds, mais les seigneurs de guerre parmi eux sont plus sauvages que les animaux. Eh, heureusement que les animaux ne peuvent pas porter plainte sinon ils m’auraient poursuivis pour les avoir comparés avec ces criminels. "(Rires)
"J’étais assise là parmi des massacreurs de masse. C’est impossible que je trouve un compromis avec eux. Je pense même qu’ils ne savent pas ce que ça veut dire. Et que diraient mes partisans si je ne levais pas ma voix ? Oups, est-ce que notre Malalai serait aussi une corrompue? Non, je ne pouvais pas m’excuser simplement parce que ce que j’ai dit est la vérité. Les élections sont un signe de démocratie mais malheureusement après huit ans, les afghans voient bien que ce ne sont que des outils aux mains des occupants et des seigneurs de guerre pour leur donner une légitimité aux crimes qu’ils commettent. "
Le président afghan Hamid Karzai vous a dit qu’il était d’accord avec vous. Croyez-vous en lui?
Malalai Joya: "Hamid Karzai est une marionnette effrontée. Il a fait un compromis avec les terroristes les plus cruels et les a permis de dominer son gouvernement. Maintenant il veut aussi inclure les talibans dans son cabinet."
Est-ce que vous regrettez que son opposant Abdullah Abdullah se soit retiré des élections?
Malalai Joya: "Abdullah Abdullah est aussi un bon ami des seigneurs de guerre. Je pense même qu’il soit plus dangereux que Karzai. Abdullah est un fervent partisan du fédéralisme, ce qui créerait un désastre pour l’Afghanistan. Le pays serait plus facilement balkanisé. Ne perdons pas plus de temps avec ce genre de personne qui blablate à propos de la démocratie mais qui sont en réalité des ennemis."
On dirait que personne n’est crédible. N’êtes-vous pas trop dure ?
Malalai Joya: "Il y a beaucoup de progressistes et d’intellectuels dans mon pays mais ils doivent vivre clandestinement à cause de la guerre. Si les bombardements s’arrêtent et que les seigneurs de guerre ne sont plus supportés, alors les démocrates oseront élever leur voix. Maintenant ils n’ont aucune opportunité de le faire. C’est aussi la faute des médias qui ne veulent pas faire de reportage sur ce qui se passe réellement en Afghanistan. Avez-vous déjà vu une manifestation de professeurs sous payés à la télévision ?"
Si les troupes étrangères s’en vont, l’Afghanistan risqué d’être déchiré par une guerre civile.
Malalai Joya: "Qu’est-ce que vous faites avec la guerre civile qui est déjà là? Ils nous ont placés entre un roc et un endroit dur à vivre et ils appellent ça la démocratie. Aussi longtemps que les troupes restent en Afghanistan il y aura une guerre civile. Les bombardements de l’OTAN tuent beaucoup de civiles dont la plupart sont des enfants et des femmes. Les USA se targuent en disant qu’avec leurs équipements ils peuvent trouver une fourmi, mais savent-ils pas faire la différence entre un enfant et un taliban? Et c’est ça le moyen de stopper une guerre civile ? C’est très simple. Ne donnez plus de million de dollars à ces seigneurs de guerre et leur empire s’effondrera. Ce sont des tigres en papier.”
Les pays occidentaux ne peuvent pas donner l’Afghanistan et les afghans aux Talibans?
Malalai Joya: "Actuellement on fait face à trois ennemis: les forces d’occupation, leurs alliés et les talibans. Alors les troupes étatsuniennes et l’OTAN devraient se retirer le plus vite possible de l’Afghanistan. Ca nous laisse donc deux ennemis, c’est déjà plus simple. Et si les USA n’acheminent plus des centaines de million de dollars aux seigneurs de guerre, alors leur empire s’effondrera comme un château de cartes. Je suis convaincue de ça parce qu’ils n’ont pas le soutien de la population."
Mais ça ne va pas détériorer la situation des droits des femmes?
Malalai Joya: "Les droits des femmes ne se créent pas grâce à de la poudre à canon. Les droits des femmes ne viendront pas de l’utilisation des bombes à phosphores, des bombes à fragmentations, de l’uranium appauvri ni du bombardement de gens innocents. Les huit dernières années il y a eu plus de citoyens ordinaires tués par les forces d’occupation que de combattants talibans. Des millions d’afghans souffrent de l’insécurité, de la pauvreté, du manque d’emplois et de l’injustice. Même à Kaboul on n’est pas en sécurité. Bien sûr il y a eu un changement symbolique: 68 femmes dans le parlement. Mais la plupart sont nominées par des seigneurs de guerre ou par des fondamentalistes. "
"L’insécurité croissante empêche aussi les jeunes filles d’aller à l’école. Elles risquent de se faire kidnapper ou violer. Le fils d’un député a violé une fille mais son père a tout fait pour qu’il se fasse vite relâcher. De ce que vous pouvez voir à la télévision et dans les journaux, seuls les talibans commettent des crimes."
Une partie des troupes belges aide aussi à la formation de l’armée afghane. Obama espère que très bientôt l’armée afghane pourra reprendre les responsabilités des troupes étrangères.
Malalai Joya: "L’armée afghan est l’ennemie des afghans. Qui dirige les militaires ? Les seigneurs de guerre. On ne place pas un lapin en charge du stock de carotte. On a eu une armée volontaire, mais les seigneurs de guerre n’accepteront jamais cela. "
Les troupes étrangères sont aussi engagées dans la reconstruction. N’y gagnent-ils pas de cette manière le cœur des afghans ?
Malalai Joya: "Malheureusement il y a aussi les seigneurs des ONG. Beaucoup d’argent réservé pour la construction d’écoles disparait dans la poche des seigneurs de guerre. Beaucoup d’ONG sont corrompues. Je l’ai vu de mes propres yeux. Il y a des écoles construites avec les matériaux les moins chers. Ensuite des photos sont prises rapidement pour le montrer aux principaux médias. Mais après une année il ne reste que peu de chose de ces écoles. Chaque jour les USA dépensent 160 million de dollars pour la guerre en Afghanistan. Vous imaginez ce qu’on pourrait faire avec tout cet argent?"
Certains dissent qu’il n’y aurait qu’une solution politique. Ne serait-ce pas une bonne idée de négocier avec les talibans modérés dans le but qu’ils baissent les armes ?
Malalai Joya: " Vous savez les talibans modérés n’existent pas. Il n’y a que des barbares et depuis peu certains sont décrits comme modérés par Karzai. Le problème ce sont les médias principaux qui trompent les gens. Bush a mis un prix de 25 million de dollars sur la tête de Hekmatyar et du jour au lendemain Obama le considère comme un modéré qui pourrait terminer dans le gouvernement? Encore une fois il joue avec le future de mes gens. J’ai peur que la politique d’Obama soit encore plus dangereuse que celle des criminels de guerre de Bush."
Comment les politiciens occidentaux réagissent à votre raisonnement?
Malalai Joya: "Même si je suis députée, je ne vois que très peu de politiciens. J’ai été en Allemagne et mes partisans ont urgemment demandé au gouvernement de me recevoir. Le gouvernement a refuse en répondant: « elle n’est plus député, non ? » Au lieu de protester ma démission, ils acceptent la logique de l’occupation. Ca montre que le gouvernement allemand a peur de la vérité. Heureusement que beaucoup de gens ordinaires sont de mon côté."
Que diriez-vous au Ministre de la Défense, Pieter de Crem, si vous aviez une chance de le rencontrer?
Malalai Joya: " Votre pays devrait suivre une logique indépendante. Alors vous seriez les bienvenues dans mon pays pour le reconstruire. Mais si les troupes étrangères restent en Afghanistan, ils recevront leur leçon comme les britanniques et les soviétiques l’ont reçue auparavant. Votre pays supporte la stratégie étatsunienne. Les USA veulent occuper l’Afghanistan parce qu’ils leur est alors plus facile de contrôler les deux pouvoirs régionaux : la Russie et la Chine. En plus ils ont accès plus facilement au pétrole et aux réserves de gaz des républiques d’Asie Centrale. C’est clair que vous ne voulez pas faire partie de ça, non ?"
N’avez-vous jamais pensé à fuir l’insécurité et de continuer votre travail dans un pays plus sûr ?
Malalai Joya: "Je ne veux pas abandonner mes gens. Partout où je vais-je clame qu’un pays ne peut pas être libéré par un pays étranger. Combattre pour la démocratie et les droits des femmes est la responsabilité des gens qui sont concernés. Ce serait illogique de le faire à partir de l’étranger. Je prends toutes les opportunités de voyager pour susciter la solidarité envers le combat des afghans. Mais si je restais tout le temps en Occident, je serais coupée de mes gens."
" Je ne peux pas compter sur les medias afghans pour transmettre mon message correctement aux gens. Avant il y avait quelques mouvements démocratiques avec un journal mais ils ont du arrêter les publications faute d’argent."
Pourquoi n’êtes-vous pas membre d’un des partis existants?
Malalai Joya: "Plusieurs partis démocratiques m’ont demandés de rejoindre leur rang, mais je préfère rester indépendante. Je suis une activiste sociale. Je ne me compromettrais pas. Mais je pense à autre chose. Peut-être est-il temps de rassembler nos forces et de former un nouveau parti que les autres partis démocratiques et intellectuels peuvent rejoindre. J’y pense sérieusement. "
Allez-vous participer aux prochaines élections?
Malalai Joya: "On m’encourage à participer aux élections parlementaires. J’y pense aussi mais ce sera dur car je ne peux pas mener de campagne."
Dans votre biographie, vous écrivez que les livres ont joués un rôle important dans votre vie.
Malalai Joya: "Les livres sont comme la lumière. J’ai été chanceuse que mon père m’a donné l’opportunité de lire. Ces livres ont eus un immense impact sur moi. Spécialement le livre Gadfly (de l’écrivain anglais Ethel Lilian Voynich, ed). Ce livre m’est très important car il a changé ma vie. J’ai vue le film, lue le livre et encore regardée le film."
Quels livres lisez-vous?
Malalai Joya: "j’avais l’habitude de lire rapidement. Du temps des talibans, je lisais 3 livres par semaines même si je devais regarder dans le dictionnaire à chaque phrase. Mon grand-frère ne me croyait pas et pour me tester il a pris un jour un livre et m’a questionné, j’ai pu répondre à tout ce qu’il m’a posé. Ensuite ma famille m’a supportée et m’a encourage à lire plus et à étudier. Maintenant je lis de moins en moins. Je suis très vite fatiguée. La vie est tellement dure. Je ne lis plus de roman. Je dois préparer des discours, écrire des articles et donner des interviews."
Est-ce que vous pensez que les Etats-Unis et ses alliés pourront un jour gagner la guerre ?
Malalai Joya: "Ils l’ont déjà perdue."
Pouvez-vous vous imaginez un Afghanistan libre et en paix?
Malalai Joya: "je pense souvent que je ne le verrais jamais. Peut-être un jour... s’ils ne m’ont pas tué avant. "
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