Extrait de l’interview de Jacques Vergès (Afrique Asie - février 2011)
Dossier : Jacques Vergès, l’anticolonialiste (20 pages)
Dans les kiosques ou sur : http://www.afrique-asie.fr
Propos recueillis par Gilles Munier et Majed Nehmé
Dossier : Jacques Vergès, l’anticolonialiste (20 pages)
Dans les kiosques ou sur : http://www.afrique-asie.fr
Propos recueillis par Gilles Munier et Majed Nehmé
Vous avez pris la défense du Président Saddam Hussein, en faisant partie du groupe d’avocats constitué à cet effet, puis vous vous en êtes retiré : pourquoi ?
J’ai accepté la défense de Saddam Hussein à la demande d’une dizaine de membres de sa famille que j’ai rencontrés à Paris, Genève et Sanaa, au Yémen*.
Je me suis retiré à partir du moment où une de ses filles, qui était l’invitée d’honneur du Roi de Jordanie, s’est prononcée contre ma présence et pour celle d’autres personnes. J’ai pensé que la famille étant divisée à ce moment là, la défense était handicapée et je ne voulais pas m’imposer dans une défense qui était vouée à l’échec.
Mais vous aviez eu le temps d’entreprendre des démarches…
Oui, j’avais fait une démarche auprès du Président de la République, en France, et auprès des ambassades du Royaume uni, des France et de la Russie, sur le respect des droits de l’homme dans les procès qui allaient s’ouvrir en Irak. J’étais également l’avocat pressenti de Tarek Aziz.
J’avais reçu une réponse un peu formelle de la Russie et, surtout, une lettre très détaillée de M. Gourdeau-Montagne, conseiller diplomatique du Président Chirac. Il me disait que l’Irak était partie prenante au Pacte international sur les droits civiques qui prévoyaient la liberté de la défense et il était tenu de respecter des règles élémentaires dans ce domaine ; règles qui de toute évidence n’étaient, selon moi, pas respectées.
Ces démarches pourraient-elles être relancées en direction du gouvernement français ?
Je pense que la rupture dont parlait le candidat Nicolas Sarkozy ne concerne ni la politique étrangère ni les intérêts de la France. La France est partie prenante au Pacte sur les droits civiques, elle se doit de faire respecter les obligations qu’il implique. Et, il y a une continuité de l’Etat.
Pouvez-vous nous parler de la défense de Tarek Aziz ?
J’ai demandé un visa à l’ambassade d’Irak à Paris. Je ne l’ai pas eu. J’ai fait une démarche auprès des Américains pour qu’ils m’autorisent à rencontrer Tarek Aziz, bien sûr je n’ai pas obtenu cette autorisation, de sorte que je me suis contenté de prendre publiquement position à travers l’obligeance des Amitiés franco-irakiennes en rendant publique une lettre ouverte aux juges de Tarek Aziz. Je leur ai dit que s’ils prononçaient la peine de mort, la condamnation serait illégale comme illégale était la condamnation à mort du Président Saddam Hussein.
Illégales, pourquoi ?
Parce que la jurisprudence internationale dit que s’il existe une loi au moment de faits reprochés, fondés ou pas, prononçant des peines lourdes, et que la même loi existe au moment du jugement, mais qu’entre-temps une loi intermédiaire plus clémente a été en vigueur, c’est la loi intermédiaire qui doit s’appliquer. Or, entre les faits reprochés au Président Saddam Hussein qui étaient passibles de la peine de mort, au cas où ils auraient été fondés, et le moment où il a été jugé, il y a eu une période pendant laquelle les Américains ont suspendu la peine de mort. Si Saddam Hussein avait été jugé pendant cette période intermédiaire, on n’aurait pas pu le condamner à mort. Dans ce cas là dit la jurisprudence internationale, c’est la loi intermédiaire qui doit s’appliquer.
Les condamnations à la peine capitale de Tarek Aziz, de Saadoun Shaker et de trois autres anciens dirigeants irakiens, n’auraient pas, non plus, dues être prononcées.
* Après l’arrestation du Président Saddam Hussein, Jacques Vergès avait constitué un groupe de quatorze avocats dont faisait partie Maître Amar Bentoumi, ancien bâtonnier d’Alger, ancien ministre de la Justice, membre du Collectif des avocats du FLN pendant la guerre d’indépendance.
Appendice :
Réduire Tarek Aziz au silence
« Tarek Aziz connaît trop de secrets compromettants », dit Jacques Vergès, « il faut le faire taire définitivement mais, avant de le pendre et le faire taire à jamais, le Tribunal est là pour le condamner déjà au silence. Comme me l’écrivait M. Gourdault-Montagne* au nom de M. Chirac que j’avais saisi en son temps des conditions de détention de M. Tarek Aziz : « S’agissant des garanties judiciaires auxquelles peut prétendre M. Tarek Aziz, je relève que l’Irak est partie au Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques qui reconnaît à toute personne le bénéfice de garanties judiciaires procédurales.
Les autorités irakiennes ont, certes, le droit d’adopter des mesures qui dérogeraient aux obligations qu’impose cet instrument mais seulement en cas de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la Nation et sous réserve de l’accomplissement de certaines formalités d’information des autres parties au Pacte, par l’intermédiaire du Secrétaire Général des Nations Unies. Or, à ce jour, les autorités iraquiennes n’ont pas signalé aux autres Etats parties l’adoption de mesures dérogatoires. M. Tarek Aziz bénéficie donc, dans ses relations avec les autorités iraquiennes, de la protection que lui offre le Pacte des Nations Unies de 1966 précité. »
Texte intégral dans Afrique Asie (février 2011)
Par Gilles Munier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire