dimanche 1 août 2010

Afghanistan : le retrait hollandais relance le débat sur la guerre


Les autres pays pourraient être tentés de se désengager, alors que les fuites sur Wikileaks fragilisent encore la coalition.

Des soldats néerlandais regardent la finale de la Coupe du monde dans une base militaire près de Kaboul (Ahmad Masood/Reuters)

L'engagement des 1 950 soldats néerlandais dans la guerre d'Afghanistan a pris fin dimanche, ce qui fait des Pays-Bas le premier pays à retirer ses troupes d'un conflit aux allures de bourbier.

La décision a été prise il y a plusieurs mois, après une crise politique à La Haye, mais elle tombe en plein débat sur la stratégie américaine et occidentale provoqué par la divulgation de milliers de documents confidentiels par le site Wikileaks.

La demande de renforts adressée au début de l'année aux Etats membres de la coalition avait provoqué un vif débat aux Pays-Bas, et entraîné la chute de la coalition gouvernementale en février. La décision avait été alors prise de retirer le contingent néerlandais qui était stationné dans la région d'Uruzgan, une zone difficile du sud de l'Afghanistan.

Au cours de leur intervention, les Néerlandais ont perdu 24 soldats, dont le propre fils du chef d'état-major de l'armée nationale, le général Peter van Uhm.

Le Canada se fait hésitant et l'Otan s'inquiète

Le correspondant de la BBC à Bruxelles souligne qu'au siège de l'Otan, on surveille avec anxiété l'impact de ce premier retrait majeur d'un pays contributeur à la force internationale de 145 000 hommes engagée en Afghanistan, et ses conséquences sur la stratégie occidentale dans ce pays.

D'autant qu'un autre pays important, le Canada, qui a payé un prix humain particulièrement lourd, se pose lui aussi la question d'un retrait de son contingent l'an prochain.

En France, pas de risque : aucun vrai débat sur l'engagement des troupes françaises depuis bientôt neuf ans n'est engagé. Electro-encéphalogramme estival plat après les révélations de Wikileaks. La question que je posais en février, « pourquoi les Français oublient-ils la guerre en Afghanistan ? », reste valable, malgré les 45 morts enregistrés par la France, et une absence totale de visibilité politique.

C'est moins vrai dans les autres pays de la coalition, tous traversés par des débats sur un engagement qui apparait de plus en plus sans issue, un sentiment renforcé par la lecture des documents de Wikileaks.

Wikileaks provoque le débat aux Etats-Unis

Mais c'est évidemment aux Etats-Unis, le pays leader dans l'engagement militaire et celui qui contribue l'essentiel des troupes, que le débat est le plus vif. La diffusion de 92 000 documents militaires confidentiels a mis le conflit d'Afghanistan au coeur du débat politique.

Le pays s'est divisé sur l'initiative de Wikileaks et sur le sort du soldat Bradley Manning, qui aurait sorti une grande partie de ces informations. C'est, en nombre plus qu'en importance évidemment, la plus grande fuite de documents confidentiels de l'histoire américaine !

Manning, 22 ans, qui était attaché à un centre d'analyse du renseignement basé à 40Km de Bagdad, vient d'être transféré dans une prison militaire d'une base de Marines de Virginie, après un passage en détention au Koweit.

Il sera jugé pour une première fuite retentissante, celle d'une vidéo de bord d'un avion de combat américain qui avait tiré sur un groupe de personnes à Bagdad, tuant notamment deux employés de l'agence britannique Reuters. La vidéo s'était retrouvée sur Wikileaks, et révélait des informations que l'armée refusait de communiquer aux familles et à la justice.

Bradley Manning est fortement soupçonné d'être également à l'origine des dernières révélations de Wikileaks, et risque de passer le reste de ses jours en prison, au minimum plusieurs décennies.

Le soldat Manning, héros ou salaud ?

Bradley Manning (DR)Héros ou salaud ? L'opinion américaine se déchire sur le geste de ce soldat sans histoire, dont on ne connait qu'une seule photo d'identité qui montre un militaire banal.

Manning aurait perdu ses illusions en passant quatorze heures par jour, sept jours sur sept, plusieurs mois d'affilée sur des documents confidentiels liés aux engagements militaires américains en Irak et en Afghanistan.

L'establishment politico-militaire américain est monté de manière prévisible au créneau pour dénoncer la révélation de documents « qui n'apportent rien » et « mettent en danger la vie » des « boys » et de leurs informateurs afghans.

Mais il est une autre Amérique, qui considère que Bradley Manning a agi selon sa conscience et a eu raison de révéler des documents qui ont le mérite de faire s'interroger sur le sens d'un engagement initialement consensuel après le 11 septembre, et qui s'est égaré depuis.

Sur les networks américains, on a pu voir face à face des généraux à la retraite, comme l'ancien commandant de l'Otan le général Wesley Clark, et les protagonistes d'une autre fuite retentissante, celle des « documents du Pentagone » de l'époque de la guerre du Vietnam, en 1971, qui avaient provoqué un tournant dans le soutien de l'opinion à la guerre.

Sur CNN, Daniel Ellsberg, l'ancien analyste de la Rand Corporation, qui avait communiqué les « Pentagon papers » au Washington Post, s'est enthousiasmé pour le geste de Bradley Manning qu'il a situé dans la droite ligne de sa propre action 40 ans plus tôt.

L'administration Obama devra donner des réponses concrètes

Ceux qui considèrent Manning comme un « héros » sont sans doute minoritaires dans l'opinion, mais ils risquent de se retrouver plus nombreux si l'administration Obama n'apporte pas des réponses concrètes à leurs questions dans les prochaines semaines et mois.

  • Quid du Pakistan et de l'engagement de ses services de renseignement en faveur des talibans, secret de Polichinelle confirmé par les documents de Wikileaks et que vient de poser également publiquement le premier ministre britannique David Cameron ?
  • Comment réduire les pertes civiles qui s'avèrent bien supérieures à ce qu'admettent les communiqués officiels ?
  • Quelle stratégie de sortie d'Afghanistan si une victoire militaire est impossible, et qu'aucune perspective politique n'est en vue ?

Barack Obama pouvait espérer avoir calmé le débat en présentant sa stratégie il y a quelques mois : un « surge » (le mot vient de la guerre d'Irak avec l'augmentation des effectifs américains, qui a eu un certain effet sur l'intensité du conflit) du nombre de troupes pour une période limitée, et un désengagement progressif en 2011 au profit d'une armée afghane renforcée.

La première alerte pour l'administration est venue lors de la crise suscitée par les propos du général Stanley McChrystal, commandant des forces de l'Otan en Afghanistan, au magazine Rolling Stone et des doutes qu'il exprimait sur le leadership politique américain, affaire vite réglée par le limogeage du général et son remplacement par un « poids lourd » militaire, le général David Petraeus, justement celui du « surge » irakien.

La deuxième alerte est donc l'affaire Wikileaks, qui soulève des questions de fond sur l'engagement occidental en Afghanistan.

Alors que les mois de juin et juillet ont été les plus meurtriers pour les forces américaines en Afghanistan depuis 2001, avec 166 soldats tués, Obama est désormais contraint de surveiller aussi le « front » intérieur. On sait, depuis le Vietnam, que c'est là, aussi et sans doute surtout, que se gagnent ou se perdent les guerres extérieures.

Photos : des soldats néerlandais regardent la finale de la Coupe du monde dans une base militaire près de Kaboul (Ahmad Masood/Reuters) ; le soldat Bradley Manning, accusé d'être à l'origine des fuites de Wikileaks (DR).

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