jeudi 21 juillet 2011

par Gilles Munier (AFI-Flash - n°117)
 
François Fillon a déclaré le 15 juillet dernier, à Abidjan, que la « Françafrique » est un « logiciel dépassé ». Pour les faucons anti-Kadhafi, ceux qui s’opposent à l’intervention française en Libye sont des adeptes d’un tiers-mondisme suranné. Après le vote massif des députés – et des sénateurs - pour la poursuite de l’opération Harmattan, on est en droit de se demander si leur soutien sans nuance doit être interprété comme un blanc-seing donné à de futures guerres « humanitaires » en Méditerranée ou en Afrique. Radiographie d’un scrutin digne du temps des colonies.
   Comme il fallait malheureusement s’y attendre, les députés ont « autorisé », le 12 juillet dernirt, à une écrasante majorité, la prolongation de l’intervention militaire française en Libye (1). Aucun n’a posé de questions sur les préparatifs précédant la guerre ni ses buts réels. Ils auraient sans doute été moins nombreux si certains avaient pris la peine de visiter les hôpitaux de Tripoli et s’étaient entretenus avec les familles des victimes civiles, car le bilan des bombardements de l’OTAN est épouvantable. Le 13 juillet, le procureur général libyen, Mohammed Zikri al-Mahjoubi, a en effet annoncé que plus de 1 100 civiles ont été tués et 4500 autres blessés depuis le 19 mars. Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l'OTAN (2), a réfuté l’évaluation au prétexte que la parole d’un dirigeant libyen est sujette à caution. Tout comme les médias-mensonges contredits par les enquêtes d’ONG des droits de l’homme – les 6 000 victimes civiles de la répression du régime, les mercenaires étrangers, le viagra distribué aux soldats pour violer les femmes des rebelles… etc – les évaluations libyennes ne seront déclarées fondées, ou non, que si une délégation indépendante les vérifie.
Un engrenage dramatique et coûteux
   Jean Bardet a été le seul député UMP à oser voter contre la poursuite de l’intervention militaire. Président du Groupe parlementaire d’Etude France-Palestine, il est connu, notamment, pour s’être opposé à l’embargo de l’ONU contre l’Irak. A droite, René Couanau, maire de Saint-Malo, qui a quitté l’UMP en avril dernier, a fait de même. Le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, a également voté contre la guerre, après s’être bâillonné avec son écharpe tricolore, pendant le discours du Premier ministre François Fillon, pour protester contre le refus du gouvernement de donner la parole aux députés indépendants des grands partis. Lui qui s’était déclaré favorable au but affiché de l’intervention militaire – protéger les populations civiles de Cyrénaïque – s’est rendu compte que « les rebelles ne sont pas les forces démocratiques comme on l'a prétendu au départ ». « En Libye », dit-il maintenant, «on est parti dans un engrenage dramatique pour la France (3). Il a dénoncé, sur RTL, « un fiasco qui va coûter une fortune au contribuable français ».
   Bien que Marine Le Pen se soit prononcée clairement contre cette guerre « absurde, meurtrière et coûteuse », « qui n’est pas dans l’intérêt de la France », la quarantaine de députés de la Droite populaire - courant UMP créé pour contrecarrer la montée électorale du Front national - n’ont pas, cette fois, récupéré son analyse (4). L’Elysée l’aurait mal pris. Il est vrai que la présidente du FN, veut qu’on mette un terme à l’intervention « tout de suite », et affirme carrément que Sarkozy l’a lancée dans « un but bassement électoraliste ».
   Dans le camp gaulliste, la signification des embardées tacticiennes de Dominique de Villepin est difficile à décrypter. En mars, il avait salué, au nom de son mouvement République Solidaire, « l’engagement de la communauté internationale à travers la résolution 1973 ». Il préconisait alors « une détermination sans faille pour obtenir le retrait du colonel Kadhafi et des siens » (5). Quatre mois plus tard, voilà qu’il prône « la poursuite de l’action en Libye sous conditions», et demande que l’on revienne « à l'esprit originel de cette intervention qui était militaire, avec un objectif humanitaire (...) et en aucun cas de s'engager dans une guerre avec un objectif politique de renversement du régime du colonel Kadhafi » (6). Parmi ses proches, François Goulard, député non-inscrit, a donc voté… pour la prolongation de l’intervention, mais avec des réserves. Inaudible !
Les communistes exigent un cessez-le-feu
   A gauche, Jean-Michel Boucheron (PS), sans la moindre gêne, a salué « la grande technicité de nos opérations aériennes, ce qui permet de n'avoir que très peu de dommages collatéraux » et, dans la foulée, 154 députés de son groupe ont approuvé la poursuite des opérations... « en toute responsabilité ». Sept se sont tout de même abstenus. Henri Emmanuelli, ancien ministre de François Mitterrand, a voté contre la guerre. C’est son côté « gaulliste », a-t-il- dit, sur le site Marianne 2 (7). Julien Dray, autre député PS, a justifié son refus de prendre part au scrutin, en écrivant sur son blog que la poursuite du conflit « ne fera que générer un peu plus de chaos dans la région. Cela porte un nom : l’enlisement, le bourbier, concepts bien connus des Américains » (8).
   Les députés communistes, opposés depuis le début à la guerre de Libye, ont évidement tous voté contre, exigeant  - par la voix de Jean-Jacques Candelier« l’établissement immédiat d’un  cessez-le-feu multilatétal ». Pour toute réponse Alain Juppé a qualifié son intervention de « magnifique exercice de langue de bois ». Après avoir applaudi les bombardements, Jean-Luc Mélanchon, député européen désigné par le PCF candidat du Front de Gauche (9) à la présidentielle de 2012, a finalement convenu que la Libye subit une agression impérialiste et que l’OTAN n’a rien à y faire (10). Mieux vaut tard que jamais, mais son tête-à-queue politique ne fait pas oublier qu’il s’est tu, en 2002, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin - dont il était ministre - ont envoyé des troupes françaises en Afghanistan (11).
   Comprenne qui pourra : chez les écologistes, Noël Mamère et François de Rugy ont voté pour, « sans que ce soit un chèque en blanc » donné à Sarkozy. Leurs collègues, Yves Cochet et Anny Poursinoff, contre. L’ex-juge Eva Joly, leur candidate à la présidentielle de 2012, qui joue maintenant les antimilitaristes en préconisant la suppression du défilé du 14 juillet, tenait en juin des propos va-t-en-guerre forcenés. Elle se disait « à 100% » pour l’intervention en Libye et même pour l’envoi de troupes au sol (12)…
   Comme l’a remarqué Henri Emmanuelli, le « droit de protéger » introduit dans la résolution 1973, c’est à dire de s’ingérer dans les affaires des autres pays, « ne s’applique qu’aux adversaires de l’OTAN ». L’empressement mis par Sarkozy pour renverser le Guide libyen, ont plus à voir avec son irrépressible envie de doubler ses partenaires occidentaux désireux d’étouffer les révolutions arabes, qu’avec l’essor de la démocratie en Méditerranée. Le devenir du colonel Kadhafi, la rédaction d’une nouvelle constitution, l’organisation d’élection, la formation d’un gouvernement, les exportations de pétrole et le choix d’alliances internationales, sont des domaines de souveraineté. Ils ne concernent que les Libyens.
(1) Scrutin public sur la déclaration du Gouvernement sur l'intervention des forces armées en Libye pour la mise en oeuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU.
A l’Assemblée nationale : Nombre de votants : 516 - Nombre de suffrages exprimés : 509 - Majorité absolue : 255 - Pour l'adoption : 482 - Contre : 27.
(2) Libye/Otan : Rasmussen rejette des accusations de crimes de guerre
Rappel : Ancien Premier ministre danois, Rasmussen est connu pour avoir défendu le droit à la publication des caricatures du prophète Muhammad, parues dans le quotidien Jyllands-Posten en septembre 2005.
(3) Nicolas Dupont-Aignan : « En Libye, on est parti dans un engrenage dramatique pour la France »
(4) Analyse de Marine Le Pen – 27/5/11)
(5) Communiqué de Dominique de Villepin
(6) Déclaration de Dominique de Villepin
(7) Emmanuelli: « En Libye, nous faisons la guerre. Je suis contre! » (Marianne 2 – 8/7/11)
http://www.marianne2.fr/Emmanuelli-En-Libye-nous-faisons-la-guerre-Je-suis-contre_a208213.html
(9) Le Front de gauche comprend le Parti communiste, le Parti de gauche et diverses organisations communistes.
(10) Déclaration de Jean-Luc Mélanchon (L’Humanité - 23/3/11)
(11) Comme Nicolas Sarkozy avec l’intervention en Libye, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient invoqué un prétexte humanitaire en 2002 pour envoyer des troupes dans la région de Mazar-e-Charif, au nord de l'Afghanistan. Le débat parlementaire organisé à la demande de Jospin, n’avait pas été suivi d’un vote, Chirac l’ayant refusé. L’armée française est toujours en Afghanistan, alors que le candidat Nicolas Sarkozy avait laissé entendre, en 2007, qu’il fallait se désengager.
(12) Tchat avec Eva Joly (Rue 89 – 8/6/11)
 
Par Gilles Munier