jeudi 13 mars 2008

écoutez la voix d'une femme irakienne


Ecoutez la voix d’une femme irakienne, sous
l’occupation, ce jour de fête des femmes!

Cette interview date de plus d’un an et demi et relate
des événements survenus à la fin de 2004, lors de la
deuxième bataille de Fallouja. Elle demeure pourtant
d’une brûlante actualité pour tous ceux qui suivent,
même de très loin, la vie quotidienne en Irak et
ailleurs, en Palestine, en Somalie, au Darfour et
partout dans ce monde d’apocalypse engendré par les
guerres de l’empire. Une tragédie humaine comme en
compte beaucoup le cadeau américain au peuple irakien.

A.M.
08 mars 2008


La « mère des martyrs » et les nuits lourdes de
Fallouja
:

Au bout de deux mois d’enquête, l’équipe d’Islammemo a
réussi enfin à retrouver Elhajja
Z. M., plus connue sous le nom de mère des martyrs et
dont le récit de ses exploits au cours de la deuxième
bataille de Fallouja a été relayé par tous, grands et
petits.
Au cours de ces deux mois d’enquête, pas un chef de
tribu ou notaire n’a été interrogé sur le sort de la
vieille femme et nous n’avons obtenu que des réponses
approximatives et souvent contradictoires : pour
certains elle serait morte et disparue selon d’autres
et pour les moins pessimistes, elle aurait simplement
trouvé refuge auprès de sa fille dans un des villages
environnants de Fallouja.
La mère des martyrs, âgée de 62 ans est mère de 3
garçons, Ahmed, Mouhib et Omar, tous tombés martyrs
lors de la seconde bataille de Fallouja.

Actuellement, elle habite une petite maison à
Fallouja, seule, vivant de son labeur quotidien malgré
son âge avancé. Elle fabrique des balais traditionnels
qu’elle écoule dans les alentours, à des prix modiques
pour subvenir à ses besoins, refusant toutes les aides
que des commerçants et des gens aisés de Fallouja lui
ont proposé.
Pour tous dans son voisinage, la vieille femme aurait
des pouvoirs surnaturels et ses prières seraient
exaucées. Bien des gens viennent chercher auprès
d’elle la Baraka.

La vieille nous reçut chaleureusement et abandonna son
ouvrage quelques instants pour répondre à nos
questions.
Elle ne connaît pas notre site Internet, Islammemo,
comme on pouvait s’y attendre, la télévision n’en a
jamais parlé, dit-elle, et elle refusa de se faire
photographier, mais accepta de répondre à nos
questions. Elle nous avoua que des dizaines de femmes
sont dans son cas mais que peut-être et tout compte
fait, sa situation est plus pénible parce qu’elle a
perdu ses trois enfants.

Voici son récit :

Son mari, « un bon mari, remarqua-t-elle, en priant
pour son âme », décédé dix ans plus tôt, lui laissa
quatre enfants, 3 garçons, Ahmed, Mouhib et Omar et,
une fille, Khouloud. Ils eurent tous une bonne
éducation et firent des études supérieures. Après
l’occupation, les trois garçons rejoignirent les
groupes de résistance. Elle nous raconta comment ses
enfants avaient essayé de la convaincre de quitter
Fallouja et d’aller chez sa fille, hors de la ville,
durant les jours qui précédèrent la deuxième bataille.
A l’époque, les américains étaient aux quatre portes
de la ville et commençaient son siège, aidés par les
kurdes et les chiites. Ils étaient aussi innombrables
que des sauterelles !
« Mais je refusai de quitter ma maison, ajouta-elle.
Mon cadet, Omar, a tout fait pour me persuader de
partir et de les laisser combattre, tranquillement ».
Rien n’y fit. Je ne pouvais quitter la ville en y
abandonnant mon cœur, raconta-t-elle ! Nous nous
sommes mis tous d’accord pour que je demeure à
Fallouja jusqu’à la fin de la bataille : la victoire
ou le martyr ! Et Grâce à Allah, mes trois enfants ont
obtenu le martyr !

Les trois frères appartenaient à des groupes de
résistance différents et ils discutaient souvent de la
manière de rester en contact entre eux. En suivant
leurs discussions, je remontais le fil de vie de
chacun d’eux. Je pleurais discrètement, tellement
j’étais certaine qu’ils allaient mourir au cours de
cette bataille et je priais Allah de me prendre avec
eux et de m’épargner la douleur de leur perte.
La vieille femme versa en cet instant quelques larmes,
très discrètement, et nous fîmes autant. Puis elle
s’éclipsa prétextant de chercher quelque chose, mais
nous l’entendîmes pleurer toute sa douleur, prier et
implorer :« Ya Allah : les gens prient les grands de
ce monde qui exaucent leurs vœux et Vous, Seigneur des
Seigneurs, exauce mon vœu le plus cher et prends-moi
auprès de mes fils et de mon mari qui me manquent
tant. Ya Allah « ne m’abandonne pas seule dans ce
monde, j’ai hâte de retrouver mes fils chéris » !
Au bout de quelques minutes la vieille revient vers
nous, abattue et toute en excuses : « nous avons tant
de problèmes avec le gaz, la bouteille ne suffit plus
pour la journée, quoiqu’on ait augmenté son prix » !
Elle ne savait pas que nous avions entendu ses pleurs
et que nous avions pleuré discrètement avec elle.

Elle reprît son récit. Le 07/11/2004, les
bombardements se sont intensifiés avec des tentatives
de pénétrer dans la ville depuis la porte nord. Il
était près de 11 heures du soir quand les américains
ont lancé des bombes éclairantes. J’étais seule à la
maison, alors j’ai commencé à réciter toutes les
Sourates du Coran que j’avais apprises par cœur en
priant pour la victoire d’abord et pour la sécurité de
mes enfants ensuite. Je n’ai pas dormi de la nuit. Au
petit matin et alors que je m’assoupissais, Omar est
venu m’informer que Mouhib et Ahmed se portaient bien
et qu’ils me demandaient de leur préparer à manger et
du thé pour 14 combattants.
« Qu’en dis-tu maman, tu ne veux pas faire une bonne
action pour laquelle tu auras une récompense divine »,
me lança-t-il ? Aussitôt, je courus à la cuisine et je
lui ai préparé très rapidement du thé et fait du pain
chaud pour 30 personnes. Je l’ai aidé à transporter le
tout jusqu’à la voiture, heureuse d’avoir honoré nos
hôtes...de loin. Je l’ai regardé longtemps partir puis
je me suis remise à prier pour tous ces jeunes
combattants, pour leur sécurité et pour la victoire.

La vieille continua son récit : « Fallouja était
encore sous les bombardements des avions américains. A
chaque bombe, la maison tremblait et je craignais
qu’elle me tombe sur la tête. Je me suis réfugiée dans
mes psalmodies du Coran et je m’y suis abandonnée !
Le lendemain, j’ai préparé plus de 200 galettes, du
riz et deux grandes marmites de sauce. Mes trois fils
sont venus ensemble et ils sont restés près de moi
près d’une heure. Je les ai embrassés longuement et
humé leur odeur comme lorsqu’ils étaient des bébés.
J’avais le pressentiment que je ne les verrais plus
jamais. Ils m’ont embrassé la tête et les mains,
prirent le manger et sortirent ensemble en me
demandant de prier pour eux !
« Pourquoi vous me le demandez alors que je ne fais
que cela mes enfants », leur dis-je ? Pas seulement
pour nous, mais pour Fallouja, me rétorquent-ils.
C’était la dernière fois que je voyais mes enfants.

Elle poursuit : « Fallouja a vécu de nombreux jours
encore sous les bombes et il y a eu des combats
acharnés. On n’entendait que les cris Allahou Akbar
des hauts parleurs et les prières collectives et les
psalmodies de Coran dans les mosquées. Chaque jour je
me mettais des heures entières à la porte à l’affût de
la moindre information et à attendre que mes fils me
reviennent.
J’interpelais tous les passants s’ils avaient vu mes
fils ou l’un d’entre eux au moins. Certains me
répondaient qu’ils ne les connaissaient pas. L’un des
passants m’informa que Omar et Ahmed étaient à la Cité
Joumhourya et que Mouhib était à la Cité Nezzal. Tous
étaient donc en vie. Mais je voulais plus de détails
et je courus derrière l’homme en l’implorant de
s’arrêter un moment. Je suis tombée à terre et j’eus
les pieds à sang. L’homme s’arrêta, me confirma que
tous mes fils étaient en vie et se portaient bien. Il
me donna sa longue écharpe pour essuyer le sang et
s’en alla, pressé.

Je suis demeurée dans cet état jusqu’au 12/12/2004.
Mais j’avais repris confiance entre temps et je me
suis abandonnée à la volonté divine. J’ai passé les
jours suivants à préparer à manger et à distribuer de
l’eau aux Moudjahiddines arabes, à soigner et panser
les blessures des combattants à l’aide de pansements
de fortune. J’en avais soigné ainsi plus d’une
vingtaine d’entre eux et tous ont pu revenir au
combat.
Je suis très précise dans les dates parce que j’ai
commencé à compter à partir du jour où mes fils m’ont
quittée. Je reviens au 9/12, jour où l’ennemi a
bombardé Fallouja et notamment le centre de la ville
avec des bombes au phosphore (elle dit simplement au
gaz) qui ont tout brûlé, hommes, animaux et arbres. Il
y a eu de nombreux morts. C’est ce qui a permis aux
américains d’avancer au bout de quelques heures
jusqu’au centre de la
ville. Des dizaines de Moudjahiddines ont été tués.
Par la suite des rumeurs, sans doute diffusées par les
agents ennemis, ont prétendu que Omar Hadid et
Abdallah Jenabi (des commandants de la résistance-
NDT), étaient parmi les morts, ce qui a créé un grand
désordre dans les rangs de la résistance. J’ai appris
cela des blessés que je soignais ou que je secourais.
Plus tard, les deux commandants de la résistance ont
démenti ces rumeurs et avaient pris l’initiative de
visiter les combattants, ce qui a relevé leur moral et
les a incité à s’acharner au combat.

Les combats acharnés ont continué et l’ennemi a subi
beaucoup de pertes humaines et de dégâts matériels. Je
continuais mes prières en espérant que mes fils me
reviennent tous enfin.

Le 12/12/2004 était un dimanche. Vers 11 heures du
soir, les américains, venant de l’extérieur de la
ville, ont engagé une grande bataille pour occuper la
Cité des Chouhadas. La bataille se passait très près
de notre maison, mais c’est le ciel qui était en feu
que j’observais. Ce soir là de nombreux combattants
ont trouvé la mort. La bataille a duré près de 4
heures, entre 11 heures du soir et 3 heures du matin
et les américains ont échoué à occuper la Cité.
J’entendais les gémissements des blessés ce qui a m’a
poussé à sortir de la maison pour secourir les
blessés. J’entendais un blessé qui répétait sa Chahada
à l’infini, j’ai couru vers lui. Il était blessé à la
poitrine et au visage. Je l’ai tiré jusqu’à la maison
et tenté de le secourir. Je lui ai nettoyé le visage à
l’eau et tenté d’arrêter l’hémorragie. Il me regardait
et pleurait. Je croyais qu’il pleurait de douleur.
J’ai essayé alors de le mettre en confiance en lui
faisant croire que ses amis viendront au petit matin
pour l’amener à l’hôpital et que sa blessure n’était
pas très grave en tout cas. Je lui demande alors de me
laisser aller secourir ses amis, mais il se mit à
pleurer de plus belle, comme s’il voulait me dire que
je devais rester auprès de lui. J’ai pensé qu’il
sentait la mort venir et qu’il me voulait à ses côtés.
Mais je me suis arrachée à lui pour voir si les autres
blessés dans le quartier étaient encore en vie. Je
sortis donc et trouvais un autre blessé arabe pas loin
de la maison. Je l’ai tiré à son tour à la maison et
c’est alors qu’il m’interpela « tante Oum Mouhib ».
J’étais interloquée. Il me connaissait donc, quoique
différemment de ce que les gens ont l’habitude
m’appeler. J’étais pour tous Oum Ahmed, du nom de mon
fils aîné. J’ai cru un instant qu’il était un ami de
mes fils. Le pauvre était blessé au bas ventre et ses
intestins avaient éclaté. Il me demanda de la terre,
du sel et un morceau de tissu. Il mourra quelques
temps après.
Je sortis encore une fois dans la rue pour secourir
d’autres blessés. J’ai trouvé deux corps à deux
maisons de la nôtre. J’ai tiré l’un d’eux jusqu’au
jardin, puis je creusai une tombe de 2m de long mais
d’à peine 40 cm de profondeur. Ca lui couvrait à peine
le corps : du provisoire en attendant que d’autres
viennent pour lui donner une sépulture digne, conforme
au rite musulman. J’étais très fatiguée, mais je
m’étais décidée à continuer mon travail de
récupération des corps des blessés et des morts.
J’espérais une récompense divine pour moi et mes
enfants par mon action. En sortant de nouveau, j’ai
trouvé le corps d’un autre martyr. Il était lourd mais
j’ai réussi à le tirer des pieds jusqu'aux approches
de la maison. Sa chemise était déchirée et il se
dégageait de son corps une odeur qui ne m’était pas
étrangère. C’est quelqu’un que je dois connaître, me
dis-je. Je courus chercher une lampe pour m’assurer de
l’identité du Chahid, ce qui était très risqué parce
que toute lumière pouvait être visée par les
américains. Quand j’ai approché la lumière du visage
ensanglanté du Chahid, je fus interloquée. Mon sang
s’arrêta de circuler dans mes veines, ma langue se lia
et mon corps entier se figea pendant quelques secondes
: le Chahid n’était autre que mon fils Mouhib, le
cadet de ses frères.

La vieille femme s’arrêta un instant de parler, se mit
à sangloter, puis s’excusa en disant : c’est la
troisième fois que je pleure aujourd’hui bien que j’ai
décidé de ne jamais plus les pleurer.
Puis elle reprit son récit. Quand je m’étais bien
rendue compte que c’était mon fils Mouhib, je l’ai
pris dans mes bras et je l’ai embrassé très fort. J’ai
embrassé sa tête, son front, ses cheveux, ses mains et
ses doigts comme je le faisais toujours, puis j’ai
commencé à lui parler longuement en le félicitant de
cette fin, digne des meilleurs hommes. Puis je l’ai
enterré sous l’olivier sous lequel il aimait faire ses
devoirs quand il était à l’école. Je lui ai creusé une
tombe profonde, parce que j’ai décidé qu’il y demeure
définitivement, chez lui.
Le matin, des Moudjahiddines sont arrivés. J’étais
encore sur la tombe de Mouhib que j’ai veillée toute
la nuit. Dès que j’ai entendu leurs voix, je suis
sortie à leur rencontre. Ils me connaissaient tous et
je les connaissais aussi : c’étaient des frères
d’armes de Ahmed et Omar. Je les ai aussitôt
interpellés : dites-moi la bonne nouvelle, où sont
Ahmed et Omar ?
Ils baissèrent tous la tête et l’un d’eux me répondit:
Considères-les comme les invités d’Allah. C’est Lui
qui les appelés à Lui. Ils sont morts et ont été
enterrés à la Cité Nezzal, à la maison de Hadj Khelil
Al Fayadh.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pleuré sur le
moment. Peut-être parce que j’étais très fatiguée de
pleurer Mouhib la veille ou parce que j’étais écrasée
par le malheur. Mais j’ai posé quand même cette
question : « ils sont morts en attaquant ou en fuyant
le combat » ?
L’un des Moudjahiddines me répondit «plutôt en
attaquant, par Allah, et ils ont fait payer
lourdement et d’avance leur mort ». J’ai remercié et
loué Dieu et demandé aux Moudjahiddines d’entrer à la
maison pour prendre les deux blessés. Ils ont trouvé
que l’un d’eux, était déjà mort. Ils creusèrent une
tombe au mort dans mon jardin et prirent le blessé, en
s’étonnant que j’ai pu toute seule creuser deux tombes
en une nuit.
Je leur ai expliqué que l’une des tombes est celle de
mon fils Mouhib mais que la deuxième, d’un martyr
inconnu, n’était pas suffisamment profonde. Ils ont
fait le nécessaire et avant de partir, ils me
demandèrent de les accompagner pour me faire sortir de
Fallouja. Je refusai net. L’un d’eux, qui n’était pas
irakien, essaya longuement de me convaincre mais
devant mon refus, il me dit : « Mère, tu as perdu tes
trois fils, considères-nous tous comme tes fils et In
Cha Allah tes fils Ahmed, Mouhib et Omar sont déjà au
Paradis !
Ils repartirent en pressant le pas et moi je suis
rentrée chez moi pour la prière de Dhaha (une prière
facultative après celle du Sobh- NDT).
Il y a eu trois batailles au cours des trois nuits
suivantes, au cours desquelles j’ai pu tirer à la
maison encore 4 corps de Chouhadas que j’ai enterrés
dans le jardin. Si bien que je veille maintenant sur 7
tombes de Chouhadas. Le jardin et la maison toute
entière baignent dans une odeur du Musc que je n'ai
jamais sentie auparavant. J’ai vécu une paix totale et
un bonheur inégalé, en dormant pendant quatre nuits à
même la terre, aux côtés de la tombe de Mouhib.
J’étais la mère qui prend son bébé dans ses bras. Je
suis restée enfermée dans la maison pendant plus d’un
mois, jusqu’à ce que les troupes américaines
autorisèrent les secouristes du Croissant Rouge à
entrer dans la ville, de sa partie nord. Ce sont eux
qui sont venus me
chercher le 13/01/2005. Ils m’obligèrent à les
accompagner jusqu’au camp de Saklaouia. C’est là que
j’appris que les corps de mes deux autres fils, Ahmed
et Omar, ont été exhumés puis enterrés au nouveau
cimetière des Chouhadas avec leurs compagnons.

Tel est mon récit et malgré toute ma douleur, j’aurais
souhaité avoir trois autres fils qui gagnent la
Chahada, dans la voie d’Allah. Malgré mon profond
malheur, je suis fière d’être la mère des Chouhadas.
La vieille dame termina son récit par quelques vers de
poésie populaire qu’elle attribua à des lettrés
musulmans et que nous avons eu du mal à retenir !

Islammemo : Dimanche 29/10/06
traduit de l’arabe par Ahmed Manai
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liberté et leur dignité!